Choses vues

Je l’ai dit hier, vos contributions, vos analyses et vos remarques permettent de voir dans toute sa netteté le triste tableau d’une école vandalisée. Votre parole est essentielle. Non seulement parce que les professeurs, les élèves et les parents sont les premiers témoins, les premières victimes de l’entreprise de démolition entamée par le gouvernement ; non seulement parce que les acteurs du terrain, confrontés à une situation difficile, rivalisent d’idées, de projets, et de solutions qu’il est bon de connaître. Mais aussi, parce que les témoignages individuels, par leur variété, leurs différences de style, de sensibilité laissent souvent entrevoir des pans cachés ou inattendus de l’Ecole.

Je crois profondément en la valeur des « choses vues », pour employer une expression hugolienne. Il n’y a pas que le diable qui se cache dans les détails, mais aussi les trouvailles, les miracles éducatifs et des perspectives inattendues. L’anecdote, le récit vrai en dit parfois plus long que d’épais rapports sans âme. C’est pourquoi j’ai toujours tenu à rencontrer les enseignants et leurs élèves, à prendre le temps de les écouter, de tenter de saisir l’ambiance des établissements, de m’attarder dans une salle, écouter le son si particulier d’une cour de récréation. Brigitte Pinson écrit que « le front ne se raconte pas, il se vit ». Je suis entièrement d’accord avec elle. Avec une nuance cependant : un ministre ou un député aurait tort de s’improviser maître d’école. S’il peut faire l’expérience du « front », c’est dans les limites de sa fonction. Le témoignage enseignant a donc une valeur essentielle. Oui, je le pense sincèrement, l’école se raconte. Vos témoignages en sont la preuve.

Je tiens à revenir sur le message d’Arthur que j’ai déjà évoqué précédemment. Il raconte son appel au rectorat « pour savoir si le professeur de [son] enfant parti en retraite va être remplacé ». Il s’entend alors demander : « vous ne seriez pas par hasard intéressé ou peut-être connaissez-vous quelqu’un ? ». On ne sait s’il faut rire ou pleurer. Tout est dit ici sur à la suppression massive des postes d’enseignants. Le flou, l’amateurisme, l’incompétence, le manque de transparence ainsi que la perte de tout repère (le Rectorat qui fait du recrutement sauvage au téléphone !).

Il faudrait ajouter à ce récit la désolante description de classes surchargées. Un enseignant m’a ainsi raconté qu’il n’a pas assez de chaises ni de tables pour faire assoir ses élèves dans sa classe. Enseignant d’Espagnol au collège, il a trente quatre élèves en quatrième. Faute de pouvoir pousser les murs, il a dû installer deux élèves par table et, par un subtil jeu de quinconce, agencer les chaises afin que tout le monde puisse s’assoir. Quand il s’est plaint de la situation, il a eu pour seule réponse un exposé fort abstrait sur la désaffection de l’Allemand qui conduit à de tels problèmes ! Une jeune professeur de Lettres m’a dépeint la galerie tragi-comique des professeurs employés au débotté pour pallier le manque d’enseignants. Enfin, un signe d’espoir pour terminer : une enseignante m’a fait part de la joie qu’elle a ressenti en découvrant que tous les élèves de sa classe de sixième avaient couvert leur manuel, ce qui n’était plus cas depuis plusieurs années. Elle y a vu un signe d’espoir, de respect pour le livre et l’Ecole, d’investissement dans la scolarité.

Continuez donc de témoigner. Faites entendre votre expérience. C’est d’autant plus important qu’en matière de surdité au terrain, l’actuel ministre de l’Education est un champion absolu. Supprimer des postes, supprimer des aides, supprimer la formation des professeurs et, surtout, surtout, ne pas se préoccuper des conséquences dans les classes de telles mesures. Quand la politique éducative atteint un tel niveau d’abstraction, de mauvaise foi et d’insensibilité, la voix du terrain est un instrument de résistance essentiel.
Cette entrée a été publiée dans Projets 2011. Vous pouvez la mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*

Vous pouvez utiliser ces balises et attributs HTML : <a href="" title=""> <abbr title=""> <acronym title=""> <b> <blockquote cite=""> <cite> <code> <del datetime=""> <em> <i> <q cite=""> <strike> <strong>